Photographies © Grégory Copitet
L’imagerie de Roman Moriceau est nourrie de végétaux luxuriants, de paysages montagneux, de ciels chargés de nuages, de fleurs écloses, d’arc-en-ciel et d’étoiles scintillantes. Pourtant, la couleur manque et la lumière y est aveuglante. La luxuriance et le chatoiement semblent avoir perdu de leur éclat. Teintées de noir, de blanc et de gris, les images attestent d’un épuisement, d’une anémie implacable et inquiétante. L’artiste dresse un constat : celui des conséquences de nos actes et de nos choix sur notre environnement. En associant des propriétés acides et sensibles, il génère des œuvres gorgées d’une conscience écologique et politique aiguë. Si l’esthétique mise en œuvre est plastiquement séduisante, il nous faut nous approcher de plus près pour déceler la bizarrerie. L’artiste met au point des processus techniques atypiques en s’appropriant un ensemble de matériaux directement issus de nos quotidiens : des agents polluants (huile de vidange), des composants chimiques (peintures photochromiques et phosphorescentes), des produits alimentaires (glace à l’eau) ou encore des éléments naturels (argile, chiures de mouches). Ses choix singuliers génèrent un espace où la critique et le déplacement sont possibles.
La série photographique Untitled (filtred) présente des images abstraites formées d’aplats de couleurs vives. L’identification n’est pas immédiate, pourtant il s’agit de simples sacs plastiques faisant office de filtres lumineux. Roman Moriceau pointe du doigt l’omniprésence des matériaux plastiques non seulement dans nos environnements quotidiens, mais aussi, à plus grande échelle, sur le reste de la planète. Les particules des sacs et autres éléments plastiques nourrissent ce qui est désormais nommé le septième continent. Une gigantesque masse uniquement formée des déchets mondiaux. L’artiste joue avec les rapports d’échelles, de perception et de conscience. De l’emballage au contenant il n’y a qu’un pas. Roman Moriceau s’intéresse à la question des manipulations génétiques. Sur Internet, il découvre l’existence d’un poulet sans plume mis au point par un scientifique israélien. Sans plume, l’animal est rendu optimal pour sa transformation. La reproduction en argile confère un statut d’objet à l’animal. Ainsi, l’artiste interroge les (non) limites de la science, l’indifférence généralisée par rapport au bien-être animal (ici considéré comme un produit), mais aussi l’aveuglement du consommateur.
Le rapport à l’espace s’élargit avec Nebula qui porte le regardeur vers le cosmos. Sur un fond noir, des constellations surgissent et tournoient. L’artiste a choisi de transposer les images de ciels étoilés sur le papier au moyen d’une technique originale : la sérigraphie à l’huile de vidange. Un matériau toxique et difficilement recyclable, qui participe activement au dérèglement climatique. La technique réveille les consciences, tandis que le sujet renvoie à une théorie fondée sur l’idée que l’humain et tout ce qui l’entoure ne sont que poussières d’étoiles. Le physicien Lawrence Krauss a écrit : « Chaque atome de votre corps vient d’une étoile qui a explosé. Et, les atomes de votre main gauche sont probablement venus d’une étoile différente que votre main droite. Nous sommes tous des poussières d’étoiles. » Roman Moriceau ouvre des passages entre l’infiniment grand et l’infiniment petit pour révéler l’effet papillon de nos habitus. Par les images et l’appropriation de matériaux signifiants, il nous plonge au cœur d’une réflexion portée sur le Vivant dans son ensemble. Avec un regard soucieux et humaniste, il examine notre rapport aux images en soulignant des relations dichotomiques : actes-conséquences, conscience-inconscience, apparition-disparition, visible-invisible, citoyen-consommateur. Avec intelligence et justesse, Roman Moriceau travaille les failles et les incohérences d’un système où le consumérisme prévaut sur la raison.