La Galerie Derouillon est heureuse de présenter la première exposition personnelle de l'artiste Przemek Pyszczek à Paris.
Autant que je me souvienne, rendre visite à mes grands-parents au cœur de l’élégant quartier de Żoliborz au nord de Varsovie, était l’occasion d’y observer ses fameuses bâtisses modernistes, érigées au début des années 1960 sous l’impulsion de l’architecte Halina Skibniewska. Ce qui me fascinait alors était ces balcons colorés, jaunes, verts ou bleus qui se détachaient des façades de béton et les parsemaient avec légèreté, tels des nuages suspendus dans le ciel grisâtre.
Przemek Pyszczek, né au milieu des années 1980 en Pologne communiste, émigre avec ses parents à Winnipeg au Canada quelques années avant la chute du mur de Berlin. À la fin des années 1990, il retourne pour la première fois dans son pays natal, et découvre alors que la plupart des façades d’immeubles de béton gris qui jalonnent les rues de sa ville d’origine furent repeintes à grands coups de couleurs pastel et de formes arrondies. Fasciné par l’architecture socialiste moderniste, et en particulier par ces « koloroblok » — larges bâtiments résidentiels que l’on retrouve dans toute la Pologne, des quartiers ouvriers aux faubourgs plus cossus, et construits selon un principe modulatoire reconnaissable à ses larges panneaux de vitrage colorés et opaques —, il commence alors à documenter ces mastodontes recolorés et à les incorporer dans son travail. Il s’intéresse également aux aires de jeux de l’époque communiste, celles dont tous les enfants polonais se souviennent pour ses formes géométriques basiques et son métal froid orné de couleurs primaires éclatantes. L’immeuble de mes grands-parents à Varsovie possédait d’ailleurs le sien, et nous y passions nos après-midis estivaux.
Pour sa première exposition personnelle en France, Przemek Pyszczek a produit un corpus d’œuvres faisant écho à ces recherches esthétiques et architecturales. Les peintures et bas-reliefs qu’il présente reprennent ainsi la géométrie de cercles, carrés ou vagues qui ornent les balcons des immeubles modernistes polonais, et ses sculptures produites par des manufactures de métal polonaises évoquent les aires de jeu communistes et colorées. L’artiste semble pourtant y incorporer une certaine distance vis-à-vis de la forme architecturale, et celle-ci est permise par la décontextualisation qu’il opère, de la rue à l’espace d’exposition. Dans leur géométrie et leur usage de couleurs vives et primaires, ses travaux évoquent également les compositions constructivistes de la sculptrice polonaise Katarzyna Kobro qui, dans l’entre-deux-guerre et jusqu’à sa mort en 1951, produisit un corpus d’œuvres à la qualité architecturale visionnaire, invoquant une harmonie entre l’espace urbain et l’expérience du regardeur, tout en défendant l’idée que la fonction de l’œuvre d’art ne devrait pas être uniquement théorique ou esthétique mais aussi porteuse d’une critique sociale.
Bien que formellement assez directes, notamment dans leur agencement spatial, les œuvres de Przemek Pyszczek n’en sont pas moins porteuses d’ambiguïté voir de confusion sur la nature même du lien entre l’objet vernaculaire et sa représentation artistique. Après tout, un bâtiment recoloré dans le seul but de le rendre plus agréable à la vue, voir même reconditionné afin d’effacer les traces d’un passé architectural trop encombrant pour la nouvelle Pologne ne devient-il pas, dès lors, une œuvre d’art, un artefact, une construction mentale et plastique ? Ce qui semble rapprocher ici la réalité de sa représentation est l’usage de la mémoire : mémoire collective d’une architecture figurant une époque dissolue, ou mémoire individuelle d’un lieu fantasmé où l’artiste n’a jamais grandi — une exposition récente de l’artiste s’intitulait d’ailleurs Sandomir, du nom de la ville d’origine de sa famille paternelle. Mais la pratique de Przemek Pyszczek exprime, au final, moins d’ostalgie (néologisme figurant une nostalgie culturelle de l’époque communiste) qu’un mélange d’humour et de culture pop, de réinterprétation et de détournement d’objet. Elle évoque ainsi moins la narration d’une enfance retrouvée, que la construction d’un memoryscape ou d’une mémoire plurielle, faite d’exil et d’immigration, d’échanges esthétiques et d’acculturation visuelle.
Martha Kirszenbaum, octobre 2017
For as long as I can remember, upon visiting my grandparents in the heart of the elegant Żoliborz district in north Warsaw, I would take the opportunity to look at its famous modernist buildings, erected in the early 1960s at the instigation of the architect Halina Skibniewska. Those colourful, jutting balconies fascinated me; yellow, green or blue, sprinkled lightly across the concrete facades, like clouds hanging in a sombre sky.
Przemek Pyszczek, born in the mid-1980s in communist Poland, migrated with his parents to Winnipeg in Canada a few years before the fall of the Berlin wall. In the late 1990s, he returned to his home country for the first time, and discovered that most of those grey, concrete building facades, ubiquitous in the streets of his hometown, had been repainted with great sweeps of pastel colors and rounded shapes. Fascinated by modern socialist architecture, and by these “koloroblok” in particular — the long residential buildings that can be found all across Poland, from its working-class districts to its most affluent neighbourhoods, built according to a modular principle characterized by large, colourful, opaque glass panels — he started to document these recoloured colossuses, and to incorporate them into his work. He also began to turn his interest to the communist-era playgrounds that every Polish child remembers, its basic geometric shapes and cold metal decorated with bright primary colours. My grandparents’ building in Warsaw had one too, and we spent our summer afternoons there.
For his first solo exhibition in France, Przemek Pyszczek has produced a corpus of work that addresses his aesthetic and architectural research. Indeed, his bas-relief paintings reuse the same geometry of circles, squares or waves that decorate the balconies of Polish modernist buildings, and his sculptures manufactured by Polish metal factories are evocative of those colourful communist playgrounds. And yet, the artist seems to incorporate a certain distance vis-à-vis the architectural form, a distance that is made possible by the decontextualization he performs, from the street to the exhibition space. In their geometry, and in their use of bright, primary colours, his works also recall the constructivist compositions of the Polish sculptor Katarzyna Kobro who, in the interwar period and up until her death in 1951, produced a corpus of works of visionary architectural quality that instil harmony between the urban space and the observer’s experience, while at the same time advocating the idea that a work of art should not have a uniquely theoretical or aesthetic function, but also convey social criticism.
Although at first appearance, they seem quite direct, Although at first appearance, they seem quite direct, particularly in their spatial arrangements, Przemek Pyszczek’s works have in fact their share of ambiguity, and can even appear as confusing in terms of the true nature of the link between the vernacular object and its artistic representation. After all, does a building not, recoloured solely to make it more agreeable to look at, or even reconditioned to remove the traces of a past too cumbersome for a new Poland, then become a work of art, an artefact, a mental and aesthetic construct? What appears to bring it closer to the reality of its representation is the use of memory: a collective memory of an architecture representing a dissolute past, or a private memory of a fantasised place that the artist never grew up in — a recent exhibition of the artist, Sandomir, was incidentally named after the hometown of his father’s family. But Przemek Pyszczek’s approach, in the end, is less an ostalgie (neologism expressing a cultural nostalgia for the communist era) than a mixture of humour and pop culture, of reinterpretation and re-appropriation of the object. It is also evocative, not so much of the tale of a rediscovered childhood, than of the construction of a memoryscape, or a plural memory made of exile and immigration, of aesthetic exchanges and visual acculturation.